Pourquoi Arendt importe est le titre que nous avions choisi de reprendre à Elisabeth Young-Bruehl
(1) pour intituler les deux journées d’étude internationales qui se sont tenues à l’Université Paris Diderot, les 25 et 26 avril 2017. L’idée nous en était venue lors d’un déjeuner avec Etienne Tassin l’année d’avant. Un volumineux ouvrage venait d’être publié à grand bruit, dont le but était de présenter l’œuvre entière d’Arendt comme une opération consistant à rendre séduisantes les intentions destructrices profondes de son maitre Heidegger et à entrainer sa propre pensée dans une configuration
völkisch confinant au fascisme
(2) . Nous qui cheminions depuis si longtemps en compagnie de cette oeuvre, étions-nous donc passés à côté d’une telle terrifiante connivence ? En parlant ensemble il est apparu que nous n’avions pas envie de répondre à une telle provocation en organisant un événement public qui aurait pris Emmanuel Faye comme unique interlocuteur. Nous avons plutôt voulu saisir cette occasion pour faire le point sur nos propres parcours, pour interroger à plusieurs la façon dont nos différentes lectures d’Arendt fécondaient notre compréhension du monde et nous aidaient à affronter les problèmes – nouveaux ou plus pérennes - auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Les participantes et les participants à ces journées venaient d’Argentine, de Belgique, des États-Unis, de France, d’Italie et même du Vietnam. Après la tenue de ces journées nous avions décidé une publication en ligne des textes issus des communications qui y avaient été faites. Début janvier 2018, un certain nombre de textes nous étaient parvenus et nous pouvions nous mettre à ce travail avec l’aide technique d’Anders Fjeld.
Mais le mois de janvier 2018 fut dévastateur. Le 7, Etienne Tassin fut renversé par une voiture et décéda quelques heures après. Le 25 ce fut Anne-Marie Roviello. Elle venait d’entamer un épuisant parcours de chimiothérapie qui fit céder ses défenses immunitaires. Proches de Miguel Abensour et de Marc Richir, Anne-Marie et Etienne s’étaient rencontrés dans les années 1980 et leurs deux noms apparaissent souvent ensemble dans les publications de cette époque. Le premier amour philosophique d’Anne-Marie avait été Kant
(3) et celui d’Etienne Diderot
(4) , mais la référence à la phénoménologie
(5) qu’ils partageaient ainsi que leur intérêt pour la philosophie politique les firent se tourner l’un et l’autre dans les mêmes années vers l’œuvre d’Hannah Arendt. Si
La pensée politique de Hannah Arendt de André Énegren, publié en 1984
(6) , fut la première monographie consacrée à Arendt en langue française,
Sens commun et modernité chez Hannah Arendt d’Anne-Marie Roviello le suivit de près en 1987
(7) , tandis qu’Etienne Tassin traduisait en 1986, avec Joël Roman, Hannah Arendt, la première biographie de la philosophe par Elisabeth Young-Bruehl
(8) . C’est tout naturellement qu’Anne-Marie et Etienne participèrent ensemble au colloque
Hannah Arendt. Politique et pensée, organisé en 1988 à l’initiative du Collège International de Philosophie, sous l’impulsion, entre autres, de Miguel Abensour
(9) . Leur amitié et admiration pour ce dernier les a réunis encore une fois à l’occasion de l’hommage, organisé par Anne Kupiec et Etienne Tassin, qui lui fut rendu en 2004 à l’université Paris Diderot
(10) . Depuis les années 1980, la pensée d’Arendt a continué d’irriguer leur réflexion qui a suivi bien d’autres voies, mais il s’est trouvé que leurs travaux avaient de nouveau convergé vers elle au moment où nous avons voulu organiser ces journées d’étude. Anne-Marie Roviello venait de publier, avec Martine Leibovici,
Le pervertissement totalitaire. La banalité du mal selon Hannah Arendt (11) et Etienne Tassin préfaçait la réédition de son grand livre de 1999,
Le trésor perdu. Hannah Arendt et l’intelligence de l’action politique (12) .
Le titre qu’Anne-Marie Roviello avait donné à sa communication à nos journées d’étude était
Hannah Arendt et le sens de l’histoire. Repartant du refus arendtien de tout appel à une clé unique de l’histoire, de tout arc survolant l’historicité des situations, elle s’était donnée pour tâche de mettre en lumière la façon dont Arendt abordait la singularité des situations historiques à partir des tonalités affectives – ce que Dilthey appelait les
Lebenstimmungen - qui débordent la factualité tout en émanant d’elle. Ces tonalités peuvent être négatives - l’acosmisme du peuple juif et des peuples parias, la désolation comme absence de monde et à soi-même des masses modernes que systématisera le totalitarisme -, mais elles sont aussi positives, comme l’est le pathos révolutionnaire soutenant les expériences de liberté. L’exposé d’Anne-Marie avait surtout porté sur les tonalités négatives, en insistant en particulier sur la pertinence des analyses d’Arendt concernant le chômage de masse qui caractérise encore les sociétés contemporaines anciennement industrialisées. De son côté, Etienne Tassin avait proposé de s’interroger
Sur les usages d’Arendt dans la reconceptualisation du politique, c’est-à-dire sur la façon dont les philosophes lisent les philosophes et plus particulièrement sur le reproche récurrent selon lequel les distinctions tranchées opérées par Arendt étaient une limite à ses analyses. On retrouve en particulier ce reproche chez Judith Butler, dont le livre
Rassemblement. Pluralité, performativité et politique (13) voulait élucider ce qui se passe quand une pluralité se rassemble, le rassemblement étant à la fois ce que l’action requiert et produit. L’assemblée déploie alors une puissance d’agir en mobilisant une performativité qui lui est propre. Dans cette communication, Etienne se réjouissait de l’inspiration arendtienne assumée de J. Butler lorsqu’elle admettait que la communauté des acteurs ne préexistait pas au rassemblement et que toute manifestation conjoignait natalité, publicité et comparution publique. Il insistait aussi sur les éléments intéressants que J. Butler apportait par rapport à Arendt. Cependant, remarquant que l’apparaître relevait aussi de règles implicites déniant de fait le droit d’apparaître à certains et certaines, J. Butler considérait que la distinction arendtienne entre la sphère privée et l’espace public rendait impossible de penser le surgissement de corps privés du droit d’apparaître, du fait en particulier des normes de genre. C’est à contester cette interprétation de la distinction arendtienne qu’Etienne Tassin s’était consacré lors de nos journées d’étude.
Etienne devait mettre au point son texte pour fin janvier et Anne-Marie était trop fatiguée pour rendre le sien. Ils ne figureront pas dans les actes de ces journées. Les possibilités offertes par le choix d’une publication en ligne nous permettront peut-être d’ajouter ultérieurement des inédits de l’une et de l’autre.
*
**
« Une pensée an-archique de l’an-archie » (Facundo Vega)
Mais d’abord comment Arendt pourrait-elle importer à quiconque si véritablement, comme voudrait le faire admettre E. Faye, elle a « pris la responsabilité intellectuelle d’élever les écrits de Heidegger, dont elle sait qu’ils comportent un vibrant éloge du mouvement national-socialiste, au rang de paradigme du penser »
(14) ? Entreprise d’autant plus grave que, depuis la parution des
Cahiers noirs, il est désormais impossible de ne pas tenir compte de l’antisémitisme assumé de Heidegger. Ce que montre avec précision Facundo Vega est qu’en réalité la position d’Arendt échappe – et c’est pour cela qu’elle importe - à la façon dont se présente la polémique récurrente entre les défenseurs et les accusateurs de Heidegger, les premiers « affirmant et réaffirmant que le plus grand philosophe du XXème siècle n’a jamais explicitement examiné de très près les questions politiques – ce qui est simplement faux », les autres prétendant « que cette œuvre ne peut en aucun cas être considérée comme de la philosophie, puisque son auteur a soutenu avec enthousiasme le totalitarisme en Allemagne ». Certes F. Vega admet qu’on ne peut plus se contenter, comme Arendt l’a fait, de dire que Heidegger a commis une « erreur » due à la seule
déformation professionnelle qui l’aurait, tel Platon à Syracuse, fait faire une brève « escapade »
(15) du côté de Hitler. Cependant, si l’importance philosophique (et non directement idéologique) de Heidegger pour Arendt n’est un mystère pour personne, c’est aussi l’engagement de celui-ci dans le nazisme qui l’a conduite à établir un rapport entre la tournure prise par sa philosophie et l’hostilité traditionnelle de la philosophie pour la politique, qu’elle débusque dans la tradition de la philosophie politique elle-même. Pour élaborer sa propre théorie politique Arendt assimile pour son propre compte certaines des catégories de Heidegger, mais elle en produit à chaque fois une critique qui dénonce ce qui leur manque pour aborder politiquement les « affaires humaines ».
F. Vega examine ce point à propos de l’attention d’Arendt à l’acte de fondation politique qui suppose l’idée de commencement sur laquelle Heidegger a lui-même médité. En procédant ainsi, Arendt userait-elle, comme le prétend E. Faye, d’un « procédé (…) persuasif » pour « transmettre » la vision de Heidegger « de façon indirecte »
(16) ? Pour ce dernier, le commencement est un événement extraordinaire, surpassant toute pluralité car advenant au cours de l’Histoire de l’Être – de sorte qu’il a pu en arriver à le formuler lui-même en termes d’incarnation dans le corps d’un
Führer. Il est dès lors très important de montrer qu’Arendt décroche radicalement sa conception des commencements d’une telle saga pour les politiser, au sens qu’elle-même donne à ce terme, nous permettant ainsi de comprendre que ce qu’on appelle la « politisation » de la pensée de Heidegger est sa caution donnée à l’anti-politique totalitaire
(17) . Pour Arendt, les fondations, rares il est vrai, ne reposent pas sur « la force d’un architecte, mais sur la puissance combinée de la multitude »
(18) . Elle détache les commencements de tout substrat ontologique, ceux-ci ne se produisant qu’à partir de ce qui advient entre les acteurs : « la politicité des "commencements" réside dans son caractère pluriel » (F. Vega), lequel ne peut être dérivé d’aucun principe (
archè) fondateur. Ici F. Vega rejoint la façon dont Etienne Tassin qualifie la pensée d’Arendt comme une « pensée an-archique de l’an-archie »
(19) . Ce à quoi nous ajouterions que la configuration de pensée est ici la même que celle de Claude Lefort lorsqu’il affirme que la démocratie « inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l’épreuve d’une indétermination dernière quant aux fondements du Pouvoir, de la Loi et du Savoir, et au fondement de la relation de l’un avec l’autre sur tous les registres de la vie sociale »
(20) . Histoire indissolublement liée à celle des révolutions modernes au cours desquelles les hommes ont pu faire l’expérience directe du nouveau commencement.
Esprit révolutionnaire et institution politique (Julia G. Smola, Myriam Boussahba-Bravard, Dick Howard)
Une telle dimension an-archique se rapportant à l’expérience des commencements est corrélative de la conception arendtienne de l’action dont la condition est la pluralité humaine. Mais c’est précisément la réflexion d’Arendt sur le phénomène révolutionnaire qui exclut d’en produire une « interprétation purement centrée sur l’action » (Julia G. Smola)
(21), sa pensée « an-archique » s’affrontant d’emblée à ce qu’E. Tassin appelle les « conditions institutionnelles de cette anarchie ». En se dégageant du seul « filtre heideggérien »
(22) pour aborder l’œuvre d’Arendt, il convient alors de la resituer dans une autre tradition que celle de la philosophie politique, un nouveau républicanisme, certes inspiré par les œuvres des grands écrivains politiques (Machiavel, Montesquieu, Tocqueville, …), mais tel qu’il retrouve une impulsion à fonder un « nouvel Etat et une nouvelle forme de gouvernement (…) où l’autorité et le pouvoir (auraient) été séparés mais combinés ensemble » (J. G. Smola). Cette impulsion a toujours été celle des comités populaires et des conseils, espaces à la fois d’action et d’auto-institution durable, spontanément apparus lors des révolutions modernes. Elle reste malheureusement un trésor perdu, car cette source diversifiée de pouvoir qu’il aurait fallu combiner ne fut pas institutionnalisée du fait de la centralisation – en Europe plus particulièrement - de l’État-nation souverain, lui-même historiquement issu de l’État d’ancien régime, et qui allait se combiner avec le système des partis pour constituer ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie libérale elle-même entrée aujourd’hui en crise profonde. Le texte de J. G. Smola rejoint une intervention faite par A.-M. Roviello, lors d’un colloque organisé à Lausanne en 2007
(23) , dans laquelle elle montrait comment la pensée arendtienne des « conseils » se révèlait particulièrment pertinente pour (re)penser les principes fondateurs de nos démocraties à la lumière des dernières évolutions de celles-ci. » car, poursuivait-elle, elle “pourrait bien nous assister dans notre manière d'affronter ce qu'on a diagnostiqué depuis un certain temps comme "la crise de la représentation" »
(24) . Comme Arendt l’avait fait ressortir dans son analyse de la révolution américaine, les conseils divisent la masse ou un peuple supposé naturel et unifié, et, loin de « dissoudre le pouvoir populaire dans cette dispersion », ils le démultiplient « contre sa massification et l’impuissance politique »
(25) . Comme J. G. Smola, elle rappellait que « les constituants (avaient) omis d’intégrer dans la Constitution une
institution politique qui correspondit de manière plus directe à l’esprit des révolutions ». Certes, « rien n’interdit aux citoyens de nos démocraties post-modernes de se réunir, de former d’eux-mêmes ces associations, mais il manque à ce pouvoir empirique (le rappel solennel) à ce pouvoir et à ce droit », solennité dont « seule une Constitution peut être revêtue »
(26)
Il n’en reste pas moins que, même si l’esprit révolutionnaire reste hors Constitution, il est directement enté sur une capacité humaine transhistorique au commencement, c’est-à-dire à l’action à plusieurs. C’est pourquoi il continue de faire irruption à l’occasion de certains moments politiques privilégiés sans qu’ils débouchent sur une refondation proprement révolutionnaire de la société entière. Ainsi Arendt importe à l’historienne Myriam Boussahba-Bravard
(27) pour analyser le suffragisme des années 1890-1914, en tant que lutte pour l’émancipation des Anglaises revendiquant le droit de vote universel. Elle y retrouve la façon dont une telle lutte active « des liens individuels et collectifs » qui se développent dans « un nouvel espace politique ». Dès lors le nouveau commencement est à la fois celui de cet espace et une naissance à l’action pour chacune et chacun.
On peut voir à l’œuvre dans le suffragisme – et cela est particulièrement plaisant vu les positions explicites d’Arendt sur le féminisme - les prémisses de ce qu’Arendt pressentait dans les années 1960 comme un « nouvel esprit du politique » que Dick Howard
(28) restitue à partir de sa propre expérience d’une Nouvelle gauche qu’il a lui-même vécue d’abord aux États-Unis dans le mouvement des droits civiques et dans l’opposition à la guerre du Vietnam. Il a retrouvé cet esprit dans d’autres pays et plus tard dans la pratique du syndicat polonais
Solidarnosc. Mais, si par bonheur une Gauche nouvelle pouvait renaître, les derniers textes d’Arendt, l’un sur le mensonge en politique, l’autre sur la désobéissance civique, importeraient particulièrement pour qu’elle puisse se comprendre politiquement, ce que celle des années 1960 n’a pas toujours fait. Lorsque le mensonge est pratiqué aux plus hauts sommets des États, sans que l’on soit déjà dans un cadre totalitaire, la dénonciation du mensonge et le rappel de vérités de fait est un acte politique, alors même que les faits doivent échapper au domaine proprement politique des opinions. Préserver les institutions garantes des vérités de fait (l’université, la presse, l’historiographie) c’est contribuer à remédier à la fragilité de ce type de vérités, c’est-à-dire à limiter la puissance du politique. Les vérités de fait « ne fondent pas le politique » (aucun domaine transcendant ou pas ne le fonde plus désormais), mais leur rappel empêche que la prolifération du mensonge n’en détruise le sens. La réflexion sur la désobéissance civique, d’autre part, met l’accent sur l’impulsion morale universelle – le souci du juste - d’où provient l’action publique hic et nunc de désobéissance à la loi pour réclamer une loi qui n’existe pas encore. Une minorité ne prend l’initiative publique de ce genre d’action que pour réactiver politiquement le consensus moral d’une société en en appelant au jugement et au soutien des autres individus.
*
**
Si nous sommes tous et toutes attentifs aux surgissements contemporains de l’action, c’est-à-dire du politique au sens arendtien du terme, ce qui arrive aujourd’hui dans le monde ne cesse de heurter notre sens de la justice. Il s’y développe aussi – et pas seulement aux Etats-Unis - « un autre type d’antipolitique» que celui sévit dans les régimes totalitaires, à savoir « une corruption du politique », comme l’écrit D. Howard à propos du phénomène Trump. Elizabeth Young-Bruehl avait publié
Why Arendt matters en 2006, dans le sillage de la guerre d’Irak déclenchée par George Bush, suite aux attentats terroristes du 11 septembre. Trente ans après la mort d’Arendt, elle se demandait ce que celle-ci aurait pensé du monde « assombri » des années 2000, dans lequel l’ « Amérique (…) s’éloignait de plus en plus de ses principes fondateurs »
(29) . En 2017 l’horizon ne s’est pas éclairci, et
Les Origines du totalitarisme sont avec
1984 d’Orwell les ouvrages les plus vendus aux Etats-Unis depuis l’élection de Trump. La catégorie de totalitarisme reprend de la vigueur de nos jours, indicative d’une menace que nous sentons peser sur le monde. Ce qui était sans-précédent à l’époque d’Arendt en est désormais un, sans que cela signifie que des formes connues de totalitarisme vont se répéter telles quelles. En la matière deux écueils nous semblent à éviter : considérer que nous sommes déjà en situation totalitaire, considérer que notre situation n’a rien à voir avec les totalitarismes passés.
Concernant le totalitarisme nazi ou stalinien, on n’a pas fini de se demander «
Que s’est-il passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? »
(30) . Et ce questionnement se renouvelle pour celles et ceux dont les pays ont connu des dictatures sanglantes, comme en Argentine par exemple. Quelles que soient les situations qui suscitent notre interrogation, les analyses d’Arendt ne sont pas à prendre comme des modèles intangibles, mais elles doivent plutôt nous inciter à renouveler la lecture que nous en faisons, de façon à creuser les points qu’elle n’a fait qu’évoquer.
La question morale et politique de l’obéissance (Martine Leibovici, Nguyen Thi Tu Hui, Simona Forti)
Rappelant la notion de pervertissement totalitaire élaborée en compagnie d’A.-M. Roviello à propos de ce qui ressort du cas d’Eichmann tel qu’Arendt l’analyse dans Eichmann à Jérusalem, Martine Leibovici
(31) aborde la façon dont le totalitarisme pénètre dans une société, en mettant en place des « dispositifs de torsion, de détournement, de retournement » des repères familiers qui structurent encore la vie des gens, jusqu’à favoriser la formation d’acteurs « dés-intéressés » comme l’était Eichmann. Arendt entend par là une façon de s’être retiré de soi, de sa propre sensibilité à la souffrance d’autrui (désignée comme
Sachlichkeit, objectivité froide et « dureté sans pitié ») jusqu’à déposer son propre moi, ainsi que sa capacité d’agir et de penser, dans l’ego d’un Führer lui-même identifié au peuple. Lisant Olivier Jouanjan
(32) , M. Leibovici reconnaît dans son analyse des discours des juristes nazis dès la période de mise au pas (
Gleichschaltung) le même type de détournement-retournement de Soi-même, mot toujours en usage mais ne signifiant plus qu’un « pour la communauté ». Cependant l’inversion assumée des critères moraux traditionnels par Eichmann, dont la conscience, écrit Arendt, « s’était mise à fonctionner à l’envers »
(33) , n’aurait pas eu lieu à l’échelle meurtrière que ses crimes ont atteint si elle n’avait été soutenue par ce que Claude Lefort nomme une perversion de la loi, et qu’Arendt détecte dans la façon même dont Eichmann formule son obéissance (« non seulement (…) aux ordres, mais (aussi) à la loi »
(34) , c’est-à-dire à la volonté du
Führer). D’après les analyses d’O. Jouanjan, cette perversion rend possible un processus de déformalisation du droit accompli par le nazisme, au profit d’une fonction de configuration, c’est-à-dire de placage direct du droit sur la moralité - au sens des mœurs ou des normes - et ne retenant essentiellement que les critères de sain/malade pour départager les comportements, le sain voulant dire tout ce qui est sensé protéger ou perfectionner la race. Rapprocher Arendt de Jouanjan inciterait alors à reconnaître l’importance de sa perspective pour réfléchir à la signification essentielle des formes – et non du formalisme – juridiques -, pour la distance, la médiation, qu’elles introduisent
entre les hommes et nous préservent du chaos organisé fondé sur l’adhérence communautaire des uns aux autres.
Peut-on aller plus loin qu’Arendt l’a fait pour comprendre comment la volonté du chef totalitaire se fait obéir ? Ne faut-il pas s’engager plus avant dans l’examen de la façon dont des structures collectives de domination s’articulent avec les psychismes individuels ? Deux des intervenantes ont choisi de le faire en sollicitant, avec celle d’Arendt, la pensée de philosophes à première vue peu compatibles avec sa façon de procéder : Deleuze et Guattari, Michel Foucault.
L’éloignement des perspectives d’Arendt et de Deleuze-Guattari apparaît d’emblée avec la façon dont, pour ces derniers, l’expression « systèmes totalitaires contemporains » englobe le fascisme (c’est-à-dire le nazisme et le fascisme italien), le stalinisme et le capitalisme. Difficile aussi de trouver chez Arendt l’équivalent de leur quête des micro-fascismes, ces micro-formations d’un désir des masses déjà fasciste qui, selon Deleuze-Guattari, se produit dans l’interaction d’agencements collectifs et préparent l’avènement d’un fascisme en tant que système dès le système capitaliste. Arendt a toujours refusé de penser qu’il y aurait un Eichmann en chacun de nous. Pourtant, note Nguyen Thi Tu Huy
(35) , lorsqu’elle analyse les sociétés européennes au tournant du XXe siècle, Arendt fait aussi entrer en connexion l’effet quasi psychologique de la transformation macroscopique des classes en masses sur les affects individuels avec la captation par les organisations totalitaires des individus atomisés et dé-solés. La perspective d’Arendt ne fait cependant que croiser celle de Deleuze et Guattari, puisque, comme le fait remarquer Nguyen T., « dans la vision arendtienne, ce n’est pas le désir qui désire sa propre répression mais c’est l’indifférence et le désintéressement qui font que l’homme accepte non seulement sa domination mais même sa propre mort ». Elle estime cependant, qu’en s’inspirant de Deleuze-Guattari, on peut poser deux questions à la perspective d’Arendt : si, dans le totalitarisme, la rencontre de la volonté du chef avec celle des individus est le carburant de la mise en mouvement généralisée, ne doit-on pas aussi tenir compte d’une dimension d’amour entre les masses et le chef ? De plus, le fait que certains totalitarismes se soient maintenus après la mort de leurs chefs (Ho Chi Min, Mao) ne contredit-il pas la thèse d’Arendt selon laquelle ils ne survivent pas à cette mort, l’URSS cessant à ses yeux d’être totalitaire après la mort de Staline ?
La question de l’obéissance a aussi été au cœur de l’intervention de Simona Forti
(36) qui a voulu la reposer en croisant les perspectives d’Arendt et de Foucault. Faisant vaciller les barrières entre l’éthique et le politique, il y a chez l’une comme chez l’autre une espèce de nouvelle généalogie de la morale, c’est-à-dire des structures de la subjectivité. S. Forti a montré comment les analyses de Foucault sur le pouvoir pastoral – identifié à partir de la Bible mais son schéma coupe à travers les époques – mettent à jour un dispositif assujettissant la possibilité subjective de penser et prônant – à la différence des anciens Grecs – l’obéissance comme un bien en soi. Les premières communautés chrétiennes exigeaient de leurs membres qu’ils renoncent à la dimension passionnelle, c’est-à-dire corporelle, de leur être, ainsi qu’à leur volonté et jugement propres. Une telle renonciation à sa propre indépendance était le prix à payer pour être sauvé par Dieu et permettait au sujet de gagner la bataille contre son propre ennemi intérieur. De là S. Forti a montré comment, dans le cours qu’elle a donné en 1965-1966 à la
New School (37) , Arendt s’approchait des mêmes phénomènes lorsqu’elle examinait la structuration de la conscience à partir du christianisme. Le rapport de celle-ci à Dieu était donné comme l’écoute d’une voix à laquelle il fallait dire oui. Par là une relation verticale de commandement-obéissance venait s’immiscer au cœur de la vie éthique et se reproduisait entre l’esprit et le corps, ce qui permettait à l’individu d’imposer silence à ses conflits intérieurs. S. Forti a rappelé cette formulation d’Arendt : « On gagnerait beaucoup à pouvoir éliminer du vocabulaire de notre pensée morale et politique ce pernicieux mot d’"obéissance" »
(38) pour indiquer qu’elle était à la recherche d’une conception socratique non platonicienne du Soi, propre à reconsidérer les rapports entre éthique et politique qui, sans rabattre les deux dimensions l’une sur l’autre, ne les rendraient pas étanches pour autant. Elle rejoignait par là la quête inachevée de Foucault d’une nouvelle figure de la moralité, même si, ajouterions-nous, la conception foucaldienne du politique n’était pas exactement la même que celle d’Arendt.
Scruter les implications contemporaines de la notion de « banalité du mal » (Claudia Hilb) et non en banaliser l’utilisation (Aurore Mréjen)
Dans le premier des cours que nous venons de mentionner, Arendt évoque « l’horreur dans sa monstruosité nue » ressentie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale devant le mal, qu’elle désignait alors comme « quelque chose qui n’aurait jamais dû arriver car les hommes ne pourront ni le punir ni le pardonner »
(39) . Cette phrase accompagnait un doute profond sur la possibilité même de poursuivre pénalement les criminels. À l’occasion du procès Eichmann, Arendt est revenue sur ce doute, sans cesser d’être tourmentée par une tension irréductible entre la démesure du crime et sa mesure juridique. Mais si, en rapport avec les jugements des militaires argentins « accusés de crimes horribles sous la dictature », Claudia Hilb
(40) évoque cette phrase répétée plusieurs fois par Arendt, ce n’est pas pour orienter sa réflexion sur l’éventualité de l’impunissable mais sur celle de l’impardonnable. Refaisant avec Arendt le chemin qui l’a menée du mal radical à la banalité du mal, c’est-à-dire de la question du « rapport entre le mal et la volonté du mal » à celle du « rapport entre le mal et la pensée comprise comme dialogue de chacun avec soi-même », C. Hilb repère un déplacement du sens de la phrase citée plus haut sur le mal en se guidant d’après un déplacement concomitant du sens même de l’impardonnable qu’Arendt illustre par une référence aux
skandala (les offenses) de l’Évangile selon Saint Luc. Dans
Condition de l’homme moderne en effet, l’impardonnable concerne la véritable méchanceté, le mal commis par volonté directe de le faire. Plus tard – après le procès Eichmann – la possibilité de faire le mal sera liée à l’extinction en quelqu’un « du dialogue du deux-en-un du penser (…) ruinant sa capacité de distinguer le bien du mal », qu’Arendt articule directement à l’extinction de la capacité à se remémorer. Et le
skandalum, l’impardonnable, ne concerne plus le criminel lui-même mais un type extrême de mal : « le crime à l’égard de la communauté »
(41) . S’ensuit alors une division de l’impardonnable – et du coup du pardonnable. Lorsqu’il atteint l’extrême, le mal lui-même est toujours impardonnable. Dans le cas d’Eichmann, cet individu est lui aussi impardonnable, parce qu’avec celui-ci il n’y a personne à qui pardonner : « renonçant à penser, il a renoncé à être une personne », car, pour Arendt, « c’est grâce au processus de pensée par lequel j’actualise la différence spécifique de l’homme en tant qu’il parle que je me constitue explicitement comme personne »
(42) . Dès lors si Arendt importe selon C. Hilb, c’est que la division interne à l’impardonnable qui ressort de ses textes permet de nommer ce qui a pu se produire sur la scène inédite mise en place par le Comité Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, selon laquelle « les criminels pouvaient échapper à la punition pénale s’ils se présentaient volontairement pour raconter publiquement tout (…) ce qu’ils avaient fait ». Ici le mal qu’ils ont commis reste bien impardonnable. Mais on peut aussi envisager aussi qu’en récupérant – publiquement, c’est essentiel - leur capacité de remémoration – ce que Eichmann n’a jamais fait - ils puissent redevenir des Qui, c’est-à-dire des personnes, elles-mêmes susceptibles de demander – et peut-être d’obtenir – le pardon.
N’avoir pas compris que le mot « mal » qui fait partie de l’expression oxymorique « banalité du mal » désigne un mal impardonnable, qui « porte atteinte à l’ordre du monde en soi »
(43) , entraîne Christophe Dejours à en détourner le sens initial en adoptant une définition extensive du mal qui, selon l’expression d’Aurore Mréjen
(44) , englobe « aussi bien l’extermination des Juifs d’Europe que la "virilité socialement construite"
(45) ». Clinicien du travail, il est directement confronté aux techniques modernes de management qui mobilisent, avec leur consentement, le travail de « braves gens », dont la conséquence est la souffrance de ceux à qui ces techniques s’appliquent, eux-mêmes souffrant de la souffrance qu’ils infligent aux autres. Dès lors leur adhésion à la «
cause économiciste » leur permet d’évacuer la « conscience douloureuse de leur propre complicité »
(46) . Relevant un tel fonctionnement à l’œuvre dans le système néo-libéral, C. Dejours croit y reconnaître, d’une part, la même banalisation du mal que celle qui fut à l’œuvre dans le système nazi. Face à cela, A. Mréjen reconstitue les enjeux véritables du contexte totalitaire d’effondrement moral - et non seulement psychologique – dans lequel Eichmann a pu, selon Arendt, conduire en toute responsabilité ses activités directement criminelles. Et alors qu’on a si souvent accusé Arendt de banaliser le mal, on se rend compte, à lire A. Mréjen, que c’est exactement ce que fait C. Dejours. D’autre part, le geste de transposition de la « banalité du mal » au néoliberalisme s’accompagne chez lui du geste inverse de prétendre, mieux qu’Arendt elle-même, appréhender la « banalisation du mal dans les systèmes totalitaires »
(47) . Pour cela la conception arendtienne du travail, strictement distinguée de l’œuvre et de l’action, ne suffit pas à son avis car ce n’est qu’en approfondissant les dimensions subjectives du travail, où s’intriquent des caractères qu’Arendt attribue exclusivement à l’action, que C. Dejours prétend comprendre comment les nazis ont joué là-dessus pour mobiliser le peuple allemand. Le résultat est, selon A. Mréjen une extension de la notion de travail, par laquelle C. Dejours s’approche dangereusement de la novlangue nazie. Face à cela elle rappelle le sens des distinctions d’Arendt et la façon qui lui est propre d’identifier les caractéristiques du monde moderne.
Une fois écartée cette façon de rapprocher totalitarisme et néolibéralisme, il n’en reste pas moins que, selon E. Tassin, on peut à partir d’Arendt, « caractériser le monde moderne sans ignorer ce que celui-ci hérite de la domination totale ni rabattre indûment les sociétés post-totalitaires sur celle-ci »
(48) . Il faut pour cela identifier comment des « schèmes totalitaires se retrouvent, mutatis mutandis » dans ces sociétés. Et ce, à partir de la façon dont les trois dimensions de la vita activa qu’il a fallu prendre soin de distinguer analytiquement entrent en tension réciproque. Pour s’en tenir à la dimension du travail distinguée de l’oeuvre, qu’Arendt rattache à la condition de la nécessité pour l’homme de reproduire le cycle vital, le capitalisme néo-libéral semble emporté par « un
process of life globalisé »
(49) , qui détruit l’habitation mondaine des hommes. Ce schème tend aujourd’hui à une forme de démesure entée sur le cycle de production-consommation, là où sa version totalitaire réduisait l’humanité de l’homme à son animalité conquérante.
Croire au monde ? (Catherine Coquio)
Le « déploiement des technologies de pouvoir managériales », la « toute puissance technoscientifique », la mise en danger de la terre comme habitat commun de l’humanité (E. Tassin), l’augmentation dramatique du nombre de refugiés sur la planète entière et l’absence de réponse hospitalière des Etats où ils cherchent asile, la violence massive et impitoyable à laquelle une dictature contemporaine a recours pour éradiquer les expériences de liberté de son peuple, franchissant impunément toutes les « lignes rouges » solennellement rappelées par la communauté internationale, l’apparition de formes nouvelles de mouvements totalitaires, la liste serait longue d’exemples contemporains de situations où le désert, c’est-à-dire « la perte croissante du monde, la disparition de l’entre-deux croit »
(50) . Quand les hommes ne sont pas directement détruits, ce sont les diverses modalités d’institution de leurs espaces intermédiaires, ainsi que la pluralité de leurs perspectives en libre discussion à partir desquelles le monde peut être vu et objectivé de toutes parts, qui sont en danger d’extinction. Dans ce désert en progression, il reste encore des oasis où l’on peut encore « faire et créer »
(51) là où la pluralité extérieure et le monde lui-même ne sont pas requis : les relations d’amitié, les passions amoureuses ou la réflexion philosophique. Ils ne suffisent cependant pas à sauver le monde, car le refuge qu’ils représentent peut engendrer un repli sur soi et ses proches. Dès l’oasis, comme Catherine Coquio l’a développé lors de nos journées
(52) , il est cependant un faire et un créer qui, bien qu’ayant lieu dans l’isolement, supposent de la part de celui ou de celle qui s’y engage ce qu’Arendt appelle une « croyance au monde ». Ceux-là et celles-là sont les artistes, car avec le Beau que leurs œuvres font rayonner, « c’est le
monde qui apparaît et non pas
l’humanité, le monde en tant qu’il est habité par les hommes »
(53) .
Comprendre, penser, juger, agir ensemble, par amour du monde. Sans nos amis, mais toujours avec eux. C’est pour cela, et pour nous y aider, qu’Arendt importe.
Notes
(1) Elisabeth Young-Bruehl,
Why Arendt matters, Yale University Press, 2006.
(2) On aura reconnu
Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée (Albin Michel, 2016), d’Emmanuel Faye.
(3) Anne-Marie Roviello,
L'institution kantienne de la liberté, Ousia, Bruxelles, 1984.
(4) Le supplément au voyage de Bougainville et autres œuvres morales de Diderot, édition présentée et commentée, avec un dossier, par E. Tassin, Agora, Presses Pocket, 1992.
(5) Dans
Philosophie, Phénoménologie, Politique : Jan Patočka (éd. Marc Richir et E. Tassin), Ed. Jérôme Millon, Grenoble, 1992, Anne-Marie Roviello signe « Patočka et la demi-mesure moderne » et E. Tassin, « Monde naturel et communauté politique : la question du sol ». On les retrouve en 1995, dans le n°5 de la revue EPOKHÈ,
La démesure, où l’on peut lire, d’Anne-Marie Roviello, « Voie du milieu, juste mesure et démesure chez Machiavel » et d’Etienne Tassin, « Un monde acosmique ? Mesure et démesure de la politique ». En octobre 12006, Anne-Marie Roviello et Miguel Abensour invitaient Etienne à participer à Bruxelles à un colloque sur « Hannah Arendt et la Révolution ». Et plus récemment, en 2015, dans
L'énigme de l'humanité en l'homme. Hommage à Robert Legros (Ousia, 2015), on peut lire, d’Anne-Marie Roviello, « La question de l’homme et l’énigme de l’autre animal », et d’Etienne Tassin, « La signification politique des droits de l’homme : lectures de Hannah Arendt ». Liste non exclusive…
(6) Presses Universitaires de France.
(7) Éditions Ousia, 2006.
(8) Éditions Anthropos ; réédition Pluriel, 2011.
(9) Voir Anne-Marie Roviello, « Les intellectuels modernes. Une pensée an-éthique et prétotalitaire » et Etienne Tassin, « La question de l’apparence », in
Ontologie et politique. Hannah Arendt, Tierce, 1989.
(10) Voir Anne-Marie Roviello, « Résistance ou servitude volontaire » et Etienne Tassin, « De la pluralité », in
Critique de la politique. Autour de Miguel Abensour, ed. A. Kupiec et E. Tassin, Paris, Sens&Tonka, 2006.
(11) Kimé, 2017.
(12) Klincksieck, 2017. Première édition : Payot, « Critique de la politique », 1999.
(13) trad. C . Jaquet, Paris, Fayard, 2016.
(14) E. Faye,
op. cit., p. 520, cité par F. Vega, en ligne : « Fox Traps : Heidegger, Arendt and the An-archy of Political Beginnings ».
(15) H. Arendt, « Martin Heidegger a quatre vingt ans », trad. B. Cassin et P. Lévy, révisée par l’auteur, in
Vies politiques, Paris, Gallimard, « Tel », p. 318.
(16) E. Faye,
op.cit. , p. 517. Faye utilise cette présentation d’Arendt à propos d’une autre question. Mais c’est à chaque fois ce dont il veut nous convaincre quand il relève la présence d’un vocabulaire issu de ou apparenté à Heidegger dans les textes d’Arendt : elle avance masquée, elle nous séduit et nous trompe…
(17) La découverte arendtienne de la pluralité est sans doute ce qui gêne le plus E. Faye. D’où sa constante minimisation de ce qui est central pour Arendt, à savoir l’orientation du regard vers ce qui se produit entre les hommes lorsqu’ils agissent et parlent ensemble, un entre immaitrisable par quiconque. Certes cela fait advenir du commun entre les hommes, c’est la raison pour laquelle Arendt peut, en allemand, utiliser le terme
Gemeinschaft que Faye veut faire passer pour la reprise masquée de la
Volksgemeinschaft, comme s’il s’agissait d’une communauté unifiée contre d’autres. Il cite lui-même le texte allemand de
Vita activa correspondant à « parler et agir ensemble » : «
Miteinanderhandeln und -sprechen » c’est-à-dire : les uns avec les autres, en relation avec eux (Faye, note 3, p. 401). Certes Arendt rappelle, comme un fait historique, que l’espace de la polis a été et peut encore être excluant (voir Faye, ibid.). Mais cela ne veut pas dire qu’il se constitue comme une unité contre ceux à qui elle ne reconnaît pas l’égalité citoyenne.
(18) H. Arendt,
De la révolution, trad. M. Berrane et J.-F. Hel-Guedj, Paris, Gallimard, « Quarto », 2012, p. 522. Trad. légèrement modifiée. Cité par F. Vega.
(19) E. Tassin, « Préface » à la réédition du
Trésor perdu, op. cit, p. 8.
(20) Claude Lefort, « La question de la démocratie », in
Essais sur le politique, XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1986, p. 29. Cité par Miguel Abensour, « "Démocratie sauvage" et "principe d'anarchie" », in
La démocratie contre l’Etat. Marx et le moment machiavélien, Paris, Le félin, 2004, p. 166.
(21) En ligne : « Hannah Arendt : une lecture républicaine ».
(22) E. Tassin,
op.cit. p. 9.
(23) Colloque international, 11 et 12 mai 2007, Université de Lausanne, « Relire Hannah Arendt depuis la mondialisation », organisé par Marie-Claire Caloz-Tschopp.
(24) « Pouvoir et pensée chez H. Arendt », in
Lire Hannah Arendt aujourd’hui. Pouvoir, guerre, pensée, jugement politique, ed. M.-C. Caloz-Tschopp, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 167.
(25) Ibid., p. 174.
(26) Ibid., p. 176-177.
(27) En ligne : « Pouvoir commencer et recommencer, avec toi : les modalités de l’émancipation inspirées par Arendt. Le cas du sufffragisme anglais 1890-1914 ».
(28) En ligne : « Hannah Arendt et une Nouvelle gauche ».
(29) E. Young-Bruehl,
Why Arendt matters, op.cit., p. 14.
(30) H. Arendt, Préface à la Troisième partie des
Origines du totalitarisme (1971), trad. J.-L. Bourget et alii, révisée par H. Frappat, in
Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, Paris, « Quarto », Gallimard, 2002, p. 196.
(31) En ligne : « Pervertissement totalitaire et perversion de la loi. Olivier Jouanjan avec Hannah Arendt ».
(32) Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, PUF, 2017 .
(33) H. Arendt, « Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal », trad. A. Guerin, revue par M.-I. Brudny-de Launay, révisée par M. Leibovici, in
Les Origines du totalirisme. Eichmann à Jérusalem, op.cit., p. 1110.
(34) Ibid., p. 1149. Les italiques sont dans le texte.
(35) En ligne : « De la chimie totalitaire chez Deleuze et Guattari au mouvement totalitaire chez Arendt ».
(36) « From the violence of domination to the power of freedom. Rethinking Hannah Arendt after Michel Foucault today ». Son texte sera ajouté ultérieurement à notre publication.
(37) voir H. Arendt, « Questions de philosophie morale », trad. J.-L. Fidel, in
Responsabilité et jugement, Paris, Payot, 2005.
(38) H. Arendt, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial » in
Responsabilité et jugement, trad. J.-L. Fidel, Paris, Payot, 2005, p. 78.
(39) Ibid. , p. 85.
(40) En ligne : « "Des crimes que l'on ne peut ni punir ni pardonner". Penser avec Arendt, dans le débat sur le passé récent en Argentine ».
(41) « Questions de philosophie morale », trad. modifiée, op.cit., p. 151. Cité par C. Hilb. Y aurait-il quelque chose à faire avec l’apparition de mots en hébreu dans ce contexte ? « La repentance consiste avant tout à ne pas oublier ce qu’on a fait, à « y revenir », comme l’indique le verbe hébreu
shuv. » («Questions de philosophie morale », op.cit., p. 121). Et : « le terme utilisé ici pour "faute" (…) est utilisé comme équivalent au mot hébreu
mikhshol ou
zur mikhschol, qui siginifie "pierre d’achoppement" » (ibid., p. 136)
(42) Ibid., p. 123.
(43) Ibid., p. 151.
(44) En ligne : « Pourquoi les distinctions conceptuelles importent. La banalisation de l’injustice sociale selon C. Dejours ».
(45) C. Dejours,
Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 1998, p. 118. Cité par A. Mréjen.
(46) Ibid., p. 22-23. Cité par A. Mréjen.
(47) Ibid. p. 24. Cité par A. Mréjen.
(48) E. Tassin,
op.cit., p. 17
(49) Ibid.
(50) H. Arendt,
Qu’est-ce que la politique ? , trad. S. Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 1995, p. 158.
(51) Ibid., p. 138.
(52) Son texte « "Croire au monde" (Arendt) : un concept politique de monde au croisement de l’action et de l’art », sera mis en ligne ultérieurement.
(53) H. Arendt,
Qu’est-ce que la politique ?, op.cit., p. 199.